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Douleurs chroniques et acupuncture : comment réduire leur impact ?
La locution « douleur chronique » se comprend assez spontanément, comme désignant une douleur qui dure. Mais on ne sait pas toujours que ce phénomène à l’appellation apparemment vaste, fait l’objet d’analyses et de définitions médicales très précises, en raison de son impact croissant sur la vie des individus et sur toute l’économie de la société.
Définition
Selon la Haute Autorité de la Santé (HAS), la douleur chronique est un « syndrome multidimensionnel exprimé par la personne qui en est atteinte » (et non par le praticien). On dit qu’il y a douleur chronique lorsque sont réunies plusieurs caractéristiques :
- persistance ou récurrence (au-delà de ce qui est habituel dans un cas semblable), voire évolution depuis plus de 3 mois ;
- réponse insuffisante au traitement ;
- détérioration significative et progressive (à cause de la douleur), des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités quotidiennes, y compris professionnelles.
Lorsqu’elle devient chronique, la douleur n’est plus un « signal d’alarme », mais une maladie, quelle que soit sa cause. On distingue les douleurs nociceptives (stimulation persistante des récepteurs périphériques de la douleur), neuropathiques (liées à une affection du système somato-sensoriel) ou liées à un dysfonctionnement des systèmes de contrôle de la douleur (sans lésion identifiée)[1]. La SPETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur) observe enfin une « demande insistante par le patient de recours à des médicaments ou à des procédures médicales souvent invasives, alors qu’il déclare leur inefficacité à soulager. »
Impact en chiffres
Au-delà de cet aspect théorique, la douleur chronique s’accompagne de conséquences concrètes, c’est-à-dire de manifestations psychopathologiques (troubles nerveux, moteurs, dépressifs, du sommeil, etc.), qui, via les arrêts de travail, ont des conséquences importantes sur l’économie.
A tel point qu’en octobre 2018, l’Académie de Médecine vient de publier un rapport qui alerte sur la nécessité d’améliorer, voire de repenser la prise en charge des douleurs chroniques, qui concerneraient aujourd’hui près de 20 millions de Français, soit environ 30% des adultes. L’Académie de Médecine ajoute que ces douleurs chroniques sont « rebelles aux traitements antalgiques conventionnels ». Et de recommander la facilitation, pour les médecins et le personnel soignant, de formations complémentaires « sur les nouvelles approches non médicamenteuses, technologiques et psycho-sociales »[2] .
Quant à l’impact des douleurs chroniques sur le monde du travail, la HAS et la SFTD avaient mené en 2008 une enquête sur 2896 patients douloureux chroniques : parmi les 1590 patients en âge de travailler (on excepte ceux qui sont en recherche de travail), 50,4% ne travaillaient pas ou plus (24% étaient en arrêt maladie, 10% en arrêt de travail et 16% en invalidité)[3] :
A l’occasion du tollé provoqué en août 2018 dans le monde médical par les propos de la Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur le supposé laxisme des médecins en matière de prescription d’arrêt maladie, certains ont appelé à s’interroger plutôt sur le phénomène préoccupant que représente l’augmentation constante des arrêts maladie, à raison d’environ +4% par an[4]. En termes prosaïques, le coût des arrêts maladie pour le régime général de l’Assurance Maladie est estimé à 10,3 milliards d’euros pour 2017[5].
Le cas de la lombalgie
Le poids des douleurs chroniques apparaîtra plus clairement si l’on se penche par exemple sur le cas de la lombalgie, qui connaît une augmentation importante ces dix dernières années. Ce mal de dos localisé en bas de la colonne vertébrale toucherait aujourd’hui 4 personnes sur 5 au cours de leur vie ; plus de la moitié des Français souffriraient au moins une fois par an d’un épisode de lombalgie[6]. Or, la lombalgie est le deuxième motif de recours au médecin traitant et, une fois sur cinq, il donnerait lieu à un arrêt de travail. La part de la lombalgie dans les accidents du travail est passée de 13% à 19,1% en dix ans ; la lombalgie représente 7% des maladies professionnelles. En outre, si la moitié des arrêts maladie pour douleur au dos sont inférieurs à deux semaines, ce sont des arrêts répétitifs. Et comme la lombalgie deviendrait chronique pour 7% des individus touchés[7], la lombalgie est en fait à l’origine de 30% des arrêts de travail de plus de six mois.
Quant au coût de la lombalgie pour l’Assurance Maladie, il est évalué à environ 1 milliard d’euros pour 2015 (en cumulant indemnités journalières, rente pour préjudice et soins) ; en nombre de journées de travail perdues, cela représente environ 40 millions de journées[8].
Une prise en charge à l’efficacité limitée et aux effets secondaires parfois préoccupants
On a souligné que les individus souffrant de douleurs chroniques autant que la SFETD ou la HAS mentionnent la relative inefficacité des moyens dont dispose la médecine conventionnelle pour soulager les douleurs chroniques.
A l’occasion de la récente médiatisation de la crise des opiacés que connaissent les Etats-Unis et qui menace la France, les professionnels de la Santé ont réclamé une prévention renforcée des patients quant au risque d’addiction aux antidouleurs comprenant des dérivés de morphine (benzodiazépines, médicaments à base d’oxycodone[9]…). Or, au-delà du fait que la première cause de morts par overdose aux Etats-Unis et en France est l’absorption de médicaments antidouleurs prescrits légalement et au long cours (48000 morts par an aux Etats-Unis, 500 par an en France), les spécialistes mettent en garde contre toute « diabolisation de la douleur alors que l’arsenal thérapeutique reste relativement limité. »[10] Encore une fois, sont pointées les difficultés à soulager les douleurs en général, en particulier lorsque ces douleurs requièrent un suivi de longue durée.
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L’intérêt de l’acupuncture
Il est regrettable que ni à propos de la douleur chronique, ni à propos de la crise des opiacées, la presse n’ait mentionné de façon un peu précise l’intérêt de prises en charge autres que purement médicales.
Alors que la médecine scientifique s’y intéresse de manière croissante et que des études de mieux en mieux encadrées tendent à confirmer son efficacité, l’acupuncture est la grande absente de ces articles sur la douleur chronique. Du côté de la littérature scientifique, l’acupuncture est heureusement mise en avant de façon significative ces dernières années. En 2011, l’Enquête nationale de santé belge (De Gendt, Desomer et al, 2011) déclare que « la plupart des états pathologiques pour lesquels les acupuncteurs sont fréquemment consultés sont des problèmes chroniques pour lesquels la médecine conventionnelle n’a à offrir que des solutions soulageant les symptômes. Or, ces dernières ne possèdent généralement qu’une efficacité limitée ou sont assorties de certains inconvénients, effets secondaires ou risques. »[11]
Dans son rapport sur les thérapies complémentaires, l’Académie Nationale de Médecine écrit que « dans l’état actuel des connaissances, l’acupuncture peut apporter un bénéfice aux patients souffrant de lombalgie ou cervicalgie chronique, de migraine ou céphalée de tension, d’arthrose des membres inférieurs, d’épicondylite, aux femmes enceintes éprouvant des douleurs des lombes ou du bassin et lors des douleurs de l’accouchement, et pour prévenir les nausées et vomissements induits par la chimiothérapie anticancéreuse. Son utilité dans la fibromyalgie est incertaine. Son effet dans d’autres indications n’est pas exclu, mais n’est pas démontré. »[12]
Cependant, l’Académie de Médecine suggère un rôle important de l’effet placebo dans l’efficacité de l’acupuncture, estimant que la supériorité de l’acupuncture réelle sur l’acupuncture simulée n’a pas encore suffisamment été démontrée. Dans un mail à l’Agence de Presse Médicale (APM), Michel Fauré, président CNP-Acupuncture et du Syndicat national des médecins acupuncteurs de France (SNMAF), et le Dr Henri Yves Truong Tan Trung, Secrétaire de la Fédération des acupuncteurs pour leur formation médicale continue (F.A.FOR.ME.C), saluent les recommandations de l’Académie, mais déplorent que l’Académie « ignore dans son rapport les bases scientifiques et les effets neurophysiologiques de la stimulation des points d’acupuncture hors effet placebo ».
Regret d’autant plus justifié que, en 2013, une étude comparant l’acupuncture réelle à une acupuncture factice (5 320 patients) ou à un groupe contrôle sans acupuncture pour des patients (14 597 patients) présentant des douleurs (rachidiennes, arthrosiques, céphaliques ou scapulaires) depuis minimum 4 semaines, conclut :
« Les différences significatives entre l’acupuncture et l’acupuncture factice montrent que l’acupuncture est plus qu’un placebo. »[13]
Des effets qui persistent
L’intérêt de l’acupuncture dans la prise en charge des douleurs chroniques apparaît d’autant plus important que des études récentes tendent à montrer la persistance des effets de l’acupuncture :
« Les effets du traitement d’acupuncture sur les patients souffrant de douleurs chroniques ne décroissent pas de façon importante au cours des douze mois qui suivent. Les patients peuvent être rassurés sur la persistance des effets. Des études sur le rapport coût/efficacité de l’acupuncture devraient prendre en compte ce paramètre »[14]
Pour des patients lourdement touchés dans leur vie quotidienne et professionnelle, l’aide apportée par l’acupuncture non seulement est d’ordre très concret, mais encore contribue à redonner de l’espoir, permettant d’envisager une qualité de vie améliorée davantage qu’à court terme.
Dr. Nguyen Phuong Vinh.
[1] Voir SFETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur) : http://www.sfetd-douleur.org/la-douleur-chronique
[2] Patrice Queneau, Alain Serrié, Richard Trèves, Daniel Bontoux, « Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l’Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades », Académie de Médecine, 9 octobre 2018, http://www.academie-medecine.fr/les-douleurs-chroniques-en-france-recommandations-de-lacademie-nationale-de-medecine-pour-une-meilleure-prise-en-charge-des-malades/
[3] Voir HAS, « Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient », recommandations décembre 2008.
[4] Cyrille Dupuis, « Coût des arrêts de travail, responsabilité des prescripteurs : les médecins agacés par Buzyn, le MEDEF en alerte », Le Quotidien du médecin, 31 août 2018.
[5] « Le coût des indemnités des arrêts de travail a augmenté de 5,2% en un an », Les Echos, 21 février 2018.
[6] Solveig Godeluck, « Accidents du travail : le mal de dos coûte près de 1 milliard d’euros », Les Echos, 15 novembre 2016.
[7] Assurance Maladie, « Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement », ameli.fr, Caen, 11 janvier 2018, https://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/lombalgies.pdf
[8] Daniel Rosenweg, « Le coût des lombalgies fait froid dans le dos », Le Parisien, 16 novembre 2016.
[9] Voir Pascale Santi et Nathaniel Herzberg, « L’inquiétant succès de l’OxyContin, puissant antalgique opiacé », Le Monde, 15 octobre 2018.
[10] Editorial, « Médicaments antidouleurs : overdose sur ordonnance », Le Monde, 16 octobre 2018.
[11] Cité dans Barry, Seegers, Gueguen, Christine Hassler, Aminata Ali et B. Falissard, « Evaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture », Inserm, U669, 17 janvier 2014, p. 23.
[12] Cité dans Daniel Bontoux, Daniel Couturier et Charles-Joël Menkès, « Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi- leur place parmi les ressources de soins » (2013), http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/07/4.rapport-Thérapies-complémentaires1.pdf
[13] A.J. Vickers, A.M. Cronin, A.C. Maschino, et al, « Acupuncture pour les douleurs chroniques ? », Minerva, 2013, Volume 12, Numéro 5, p. 58–59 (Arch Intern Med, 2012, n°172, p. 1444-53).
[14] H. MacPherson, EA Vertosick, NE Foster, G. Lewith, K. Linde, KJ Sherman, CM Witt et AJ Vickers, « The persistence of the effects of acupuncture after a course of treatment: A meta-analysis of patients with chronic pain », Pain, mai 2017, 158(5), p. 784-793.Partager