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Le désir d’enfant (VII) : « Pourquoi je veux un enfant / Pourquoi je n’en veux pas », récapitulatif
Chez la femme, chez l’homme, dans le couple hétérosexuel ou homosexuel, dans le couple instable ou stable, chez les individus qui ont vécu dans une famille dysfonctionnelle ou harmonieuse… : il y a probablement autant de désirs d’enfants qu’il y a de parents. On ne peut donc évidemment prétendre parvenir à analyser tout ce qui se cache derrière un désir d’enfant. Mais on peut mieux comprendre un désir d’enfant en répertoriant un certain nombre d’aspects récurrents ; et ainsi permettre aux futurs parents de dénouer des problèmes ou apaiser des tensions liées au désir d’enfant.
Le futur enfant que l’on imagine et que l’on va guider dans la vie ne pourra évidemment pas grandir coupé, comme une plante sans racine, de ce qui a façonné ses propres parents (leurs gènes, leur culture, leur famille, leur conjoint…) : mais des parents plus avertis sur ce qu’ils risquent de projeter dans leur enfant seront sans doute plus équilibrés dans leur parentalité.
L’identification et le listage des grands types de motivations du désir d’enfant servent donc aux parents à se repérer dans leur propre vécu.
Les grands types de motivations inconscientes et psychanalytiques du désir d’enfant
Environ huit types de désirs d’enfants peuvent être récapitulés, qui en fait se cumulent ou se recoupent généralement ; ils sont communément davantage associés à la femme, mais une grande partie d’entre eux seraient également applicables à l’homme :
- Le désir d’enfant anthropologique, pour perpétuer son espèce (l’humanité), son groupe (culturel), son patrimoine génétique (familial) ;
- Le désir d’enfant physiologique : ce désir s’inscrirait hormonalement dans le corps féminin (comme une « dernière mutation[1]» dans la construction de l’individu selon Françoise Dolto) et l’horloge biologique impliquerait une conscience, par l’organisme, du moment adéquat pour procréer (de même que la libido est plus importante au moment de l’ovulation) ;
- Le désir d’enfant qui remonte à l’enfance, c’est-à-dire à l’époque où l’enfant souhaitait imiter sa mère (davantage associée à la parentalité) : selon Sigmund Freud, l’identification à la mère se situe entre 18 mois et 5 ans, après quoi se développe le complexe d’Œdipe (volonté de remplacer la mère auprès du père ou l’inverse) ;
- Le désir d’enfant comme un cadeau à offrir : il s’agirait, par l’enfant, de faire un cadeau à sa propre mère, pour la remercier de la vie qu’elle a donnée (d’où un désir d’enfant plus tardif chez les femmes ayant un rapport compliqué à leur mère) ;
- Le désir d’enfant comme possibilité de créer un sentiment maternel ou un mode de vie différents de ceux que l’on a vécus (on a mal vécu son enfance et sa relation aux parents, si bien que l’on affronte ce vécu problématique en créant un contre-modèle) ;
- Le désir d’enfant en tant que source de féminité : la femme, en particulier lorsqu’il s’agit de couronner un parcours satisfaisant (maturité, stabilité professionnelle et affective), souhaiterait, par l’enfant, accomplir l’ensemble de ses potentialités ;
- Le désir d’enfant comme fruit de l’amour conjugal : l’enfant désiré serait pensé comme un prolongement des deux partenaires et comme un moyen, pour eux, de construire une lignée commune ; à l’inverse, le désir d’enfant comme moyen de renforcer un couple fragile (l’enfant est pensé comme un ciment, un pont qui va empêcher les parties du couple de se séparer) ;
- Le désir d’enfant conçu comme une réparation ou revanche : l’un ou l’autre des parents voudraient réparer un élément douloureux de sa vie, pas seulement enfantine (la solitude, des difficultés amoureuses, un vide affectif, un échec professionnel…) ; Freud écrit ainsi que « Le transfert des espérances sur les enfants est […] une voie excellente pour rendre supportables les complexes insatisfaits[2]».
Ces différents aspects du désir d’enfant sont parfois résumés en trois axes principaux[3] :
- l’axe de la transmission (continuité du groupe, du patrimoine génétique)
- l’axe de l’alliance (relation du couple, créative par amour)
- l’axe existentiel (élargissement du soi à une identité plus large – réparation des blessures du passé).
[1] François Dolto, Le Féminin, éd. Muriel Djéribi-Valentin et Élisabeth Kouki, Paris, Gallimard, 1998.
[2] Sigmund Freud et Ernest Jones, Correspondance complète (1906-1909), Paris, PUF, 1998.
[3] Laurence Charton, Familles contemporaines et temporalités, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Emmanuel Gratton, L’homoparentalité au masculin. Le désir d’enfant contre l’ordre social, Paris, PUF, 2008.
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Les motivations du non-désir d’enfant
A côté de ces types de désir, il faudrait cependant évoquer le non-désir d’enfant, qui explique en effet, en creux, certaines raisons de procréer. On ne souhaite pas d’enfant :
- parce que l’on a la volonté de se consacrer à son métier, à son partenaire,
- parce que l’on trouve la maternité rebutante (transformation du corps),
- parce que l’on veut conserver sa liberté (de sortir, de partir, de dormir),
- parce que l’on est soi-même un enfant non-désiré (on craint de reproduire cette souffrance),
- parce que l’on ne veut pas être influencé par la pression sociale ou familiale (l’enfant étant un attendu de l’entourage),
- parce que l’on ne veut pas ajouter à la pollution de la planète (chaque individu étant une source de pollution),
- parce que l’on ne veut pas imposer à un nouvel être un monde mal en point (que sera ce monde lorsque nos enfants seront adultes ?),
- parce que l’on désapprouve l’association systématique entre femme et maternité[1] (une femme ne se réduit pas à sa capacité à porter un enfant), etc.
En cette fin de deuxième millénaire, l’analyse du désir d’enfant se complexifie encore du fait non seulement qu’il est possible de n’avoir un enfant que lorsqu’on le souhaite, mais qu’il devient désormais possible d’en avoir même lorsque les tentatives naturelles échouent. La première fécondation in vitro en France a lieu le 24 février 1982[2] et, depuis, les processus de FIV et de PMA se sont perfectionnés, bien que les parcours des parents en désir d’enfant soient longs. Ces importantes mutations dans la maîtrise de la procréation rendent d’autant plus chargé le désir d’enfant, qui peut de moins en moins être imputé au hasard, à la nature, à un impératif social ou familial absolu.